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DROIT DES SOCIETES

SOCIETE ANONYME SA

25 Octobre 2016

Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) - Articles 426, 486, 489, 492 et 493 AUSCGIE (Révisé)

Présentation des faits1

Monsieur S. a été recruté et nommé directeur général de la société S. par contrat de travail à durée indéterminée signé en date du 28 janvier 2000.

L’un des volets de sa mission dans cette société étant de dégager des stratégies de développement et d’imaginer des projets, Monsieur S. avait proposé au Conseil d’administration de la Société S. qui l’a accepté lors de sa réunion du 27 juin 2000, la création d’une société de distribution pétrolière, la future société anonyme E. 

Immédiatement après, Monsieur S. a été désigné, lors d’une réunion du Conseil d’administration en date du 28 juillet 2000, directeur général de la future société Elton et membre de son Conseil d’administration, cumulativement avec ses fonctions de directeur général de la société S. Conséquemment, le salaire de Monsieur S. avait été revu à la hausse à compter du 1er janvier 2001.

Par acte notarié du 28 décembre 2000, a été reconnue l’existence juridique de la société anonyme E. (ci-après SA E.), dont le capital était détenu à 80% par la société S., 15% par Monsieur S. lui-même et 5% par Madame N.

Le 09 décembre 2002, le Conseil d’administration de la SA E. avait décidé de mettre fin au cumul des deux fonctions de directeur général de Monsieur S., qui devrait désormais se consacrer exclusivement à la fonction de directeur général de la SA E., mais conservant l’intégralité de son salaire de fonction et les avantages inhérents. Après avoir exercé, pendant deux ans et demi, les fonctions de directeur général de la SA E. du 28 juillet 2000 au 13 décembre 2002, Monsieur S. a signé un contrat de travail le 13 décembre 2002 avec la SA E., représentée par le Président du Conseil d’administration, Monsieur K.

Le 04 août 2006, la réunion du Conseil d’administration à laquelle avait participé Monsieur S., décida de mettre, à dater de ce jour, un terme au mandat de directeur général confié à Monsieur S.

Monsieur S. saisit le Tribunal du travail de Dakar pour faire juger que sa révocation et la rupture unilatérale du contrat en question constituaient un licenciement abusif et lui allouer en conséquence une réparation totale de 2.300.595.896 FCFA.

Le Tribunal du travail de Dakar a retenu sa compétence sur l’exception d’incompétence soulevée in limine litis par la SA E., a fait droit à la demande de Monsieur S. par jugement n°266 du 25 avril 2007 et a condamné la SA E. à payer à Monsieur S. diverses sommes, dont le montant total se chiffra à 564.129.053,76 FCFA.

La SA E. a alors interjeté appel de ce jugement.

Par un arrêt n°472 du 06 novembre 2007, la Cour d’appel de Dakar, considérant que Monsieur S. n’ayant pas eu la qualité du salarié prévu par l’article 2 du code du travail exerçant un emploi effectif distinct et dissociable des fonctions de Directeur général prescrit par l’article 426 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique (AUSCGIE), a déclaré le Tribunal du travail incompétent. La Cour a infirmé en toutes ses dispositions le jugement du 25 avril 2007 du Tribunal du Travail de Dakar et a renvoyé Monsieur S. à mieux se pourvoir.

La SA E. a alors formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la Cour d’appel de Dakar.

Sur le pourvoi en cassation formé par la SA E., la Cour Suprême du Sénégal, estimant que le droit du travail n’ayant pas encore fait l’objet d’un Acte uniforme et qu’en conséquence le litige découlant d’un contrat de travail ne peut relever que de la compétence des juridictions sociales, a rendu l’arrêt n°45 du 25 février 2009.

La SA E. a alors saisi la Cour commune de justice et d’arbitrage, sur pourvoi du 29 avril 2009, et ce afin qu’elle casse et annule l’arrêt n°472 rendu le 06 novembre 2007 par la Cour d’appel de Dakar.

Décision de la CCJA

La Cour commune de justice et d’arbitrage constate tout d’abord que la présente cause relève de l’interprétation de l’article 426 de l’Acte uniforme relatif aux sociétés commerciales et groupement d’intérêt économique (AUSCGIE) et de l’application des articles 486 alinéa 1, 489, 492 et 493 du même Acte.

La Cour rappelle ensuite que le principe de révocabilité ad nutum du directeur général d’une société anonyme, édicté par l’article 492 de l’AUSCGIE et transcrit dans l’article 18 alinéa 3 des statuts de la SA E., est un principe d’ordre public.

Elle observe qu’en signant un contrat de travail à durée indéterminée avec la SA E. pour garantir la stabilité d’un mandat qu’il exerçait déjà depuis plus de deux ans, Monsieur S. a procédé à un pacte qui n’avait pour finalité ou pour effet que de restreindre ou d’entraver la révocation ad nutum du directeur général de la SA E. qu’il était, et se ménager ainsi un préavis contraire au principe de la révocabilité ad nutum.

Un tel contrat, qui ne correspond à aucun emploi effectif exercé cumulativement avec la fonction de directeur général, distinct du mandat de directeur général de société anonyme au sens de l’article 426 susvisé et conclu dans le seul objectif de contourner la rigueur d’un principe d’ordre public, ne revêt aucune valeur juridique.

Au demeurant, Monsieur S. ne peut se prévaloir, sans se contredire dans ses conclusions additionnelles et de synthèse du 1er  mars 2007 devant le Tribunal de travail de Dakar, d’une part, d’un contrat de travail à durée indéterminée signé entre la SA E. et lui, en application des dispositions des articles 426 et 489 de l’Acte uniforme relatif aux sociétés commerciales et au groupement d’intérêt économique, et, d’autre part, s’exonérer de l’application à son litige avec la SA E. de cet Acte uniforme.

Dans ces conditions, et en vertu des dispositions de l’article 14 du Traité OHADA, la Cour de céans est fondée à retenir sa compétence pour connaître de l’affaire. La Cour Suprême du Sénégal, en se déclarant compétente, a procédé à une interprétation erronée et une fausse application des dispositions susvisées. 

Par conséquent, la Cour commune de justice et d’arbitrage décide qu’il y a lieu, conformément à l’article 18, alinéa 3 du Traité OHADA, de décider que la Cour Suprême du Sénégal s’est déclarée compétente à tort et qu’en conséquence, l’arrêt n°45 qu’elle a rendu le 25 février 2009 doit être réputé nul et non avenu, sans qu’il soit nécessaire de s’attarder sur le moyen du pourvoi.

Monsieur S. ayant succombé, il doit être condamné aux dépens.

Bon à savoir 

Le directeur général (DG)2 est désigné par le conseil d’administration. Contrairement au PDG, il ne doit pas être nécessairement un administrateur ou même un actionnaire de la société. Il doit toutefois être une personne physique. 

A l’instar du président directeur général, le directeur général assure, sous sa responsabilité, la direction générale de la société et la représente dans ses rapports avec les tiers. Pour ce faire, il dispose des pouvoirs les plus étendus. Il les exerce dans la limite de l’objet social3 et sous réserve des pouvoirs du conseil d’administration, de ceux de son président et des prérogatives des assemblées des actionnaires.

Le directeur général est, tout comme le président directeur général, révocable ad nutum, c’est-à-dire sans préavis, sans motivation et sans une quelconque indemnité, par le conseil d’administration4.

Le principe de révocabilité ad nutum du directeur général d’une société anonyme, édicté par l’article 492 de l’AUSCGIE, est un principe d’ordre public. A cet égard, un contrat de travail5, qui ne correspond à aucun emploi effectif exercé cumulativement avec la fonction de directeur général, distinct du mandat de directeur général de société anonyme et conclu dans le seul objectif de contourner la rigueur d’un principe d’ordre public, ne revêt aucune valeur juridique.

 

Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.  

_______________

1. Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA), arrêt n° 013/2012 du 08 mars 2012, ELTON OIL COMPANY C/ PAPA MACTAR SARR, Ohadata J-14-90, www.ohada.com 

2. A. FENEON, Droit des sociétés en Afrique (OHADA), Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), LGDJ, 2015, pp. 743 et suivants.

3. Articles 465, alinéa 3 et 487, alinéa 2 de l’Acte uniforme révisé relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique.

4. Article 492 de l’Acte uniforme révisé relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique.

5. Article 426 de l’Acte uniforme révisé relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique : « Un administrateur peut conclure un contrat de travail avec la société si ce contrat correspond à un emploi effectif ».