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DROIT DES SURETES

CAUTIONNEMENT

25 Octobre 2016

Cour d'appel d'Abidjan - Article 15 AUS – Article 26 AUS Révisé

Présentation des faits1

Dans le cadre de relations d’affaires avec la Société M., la BICCI a pris à l’escompte des lettres de change titrées par la société M. sur Monsieur TOURE A., à hauteur de 273.425.000 F. Lesdites traites n’ont toutefois pas été honorées par la société M, de sorte que le montant de la créance de la BICCI s’élevait au 31 août 1998 à 276.128.685 F, et au 25 août 1999, à 282.219.050 F.

Suivant acte du 23 novembre 1998, Messieurs TOURE G. et TOURE A. se sont portés cautions solidaires et indivisibles de la Société M.

Suivant exploit d’huissier du 23 février 2000, la BICICI a mis en demeure la Société M. de lui payer le principal et les frais. Cette mise en demeure n’ayant pas produit d’effet, elle a dû assigner les cautions devant le juge compétent pour obtenir paiement de sa créance. 

Se prévalant d’un cautionnement du 23 novembre 1998 et de traites émises par la Société M. revenues impayées, la BICCI a obtenu une ordonnance condamnant Messieurs TOURE G. et TOURE A. à lui payer solidairement la somme de 276.128.685 F (ordonnance n°563 du 27 janvier 2000).

Messieurs TOURE G. et TOURE A.  ont formé opposition à l’ordonnance, mais que contre toute attente, la BICICI a obtenu une seconde ordonnance de condamnation portant sur la somme principale de 282.219.050 francs (ordonnance n°1531 du 28 février 2000). 

Messieurs TOURE G. et TOURE A. ont ainsi saisi le Tribunal de première instance d’Abidjan d’une opposition à l’exécution des ordonnances n° 563 du 27 janvier 2000 et n°1531 du 28 février 2000 portant leur condamnation à payer les sommes respectives de 276.128.685 francs et 282.219.050 francs en principal.

Par un jugement rendu le 15 février 2001, le Tribunal de première instance d’Abidjan a déclaré l’action des Messieurs TOURE G. et TOURE A. recevable mais non fondée et les en a déboutée.  Il a ainsi déclaré recevable la requête aux fins d’injonction de payer de la BICCI.

Suivant exploit d’huissier en date du 09 mars 2001, Messieurs TOURE G. et TOURE A. ont interjeté appel dudit jugement.

Messieurs TOURE G. et TOURE A. font grief au Tribunal d’avoir déclaré recevable la requête de la BICICI aux fins d’injonction de payer, alors que, selon eux, ladite requête, non accompagnée des documents justifiant la créance en originaux ou en copies certifiées conformes, aurait dû être déclarée irrecevable comme violant les dispositions d’ordre public de l’article 4 de l’acte uniforme OHADA portant procédures simplifiées de recouvrement de créances et des voies d’exécution. En outre, la condamnation porte sur la somme de 282.219.050 francs, alors que le montant des traites s’élève à 273.425.000 francs. Une telle requête irrégulière doit donc être déclarée irrecevable.

Par ailleurs, Messieurs TOURE G. et TOURE A. font valoir que la créance de la BICICI n’est ni certaine, ni liquide ni exigible parce que, d’une part, les paiements des échéances des traites se font par mois, que, d’autre part, la BICICI n’a pas, comme le prévoit l’article 2 de l’acte de cautionnement, préalablement justifié que la Société M. n’a pas honoré ses engagements.

Seul le non-paiement par la débitrice principale pouvant justifier leur poursuite, Messieurs TOURE G. et TOURE A. font valoir que le défaut de preuve de cette condition conventionnelle rend incertaine, non liquide et non exigible la créance de la BICICI à leur égard. Dès lors, il convient d’infirmer le jugement entrepris statuant que la BICICI, au mépris des dispositions d’ordre public de l’article 15 de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés, n’a pas appelé en cause la société M, débitrice principale.

La BICICI sollicite, quant à elle, la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions. Elle fait valoir tout d’abord que la requête aux fins d’injonction de payer satisfait pleinement aux dispositions de l’article 4 de l’Acte Uniforme OHADA portant procédures simplifiées de recouvrement de créances et des voies d’exécution. 

Si l’irrecevabilité de la requête est la sanction de l’inobservation des dispositions des §§1 et 2 de l’article 4, cette irrecevabilité ne s’étend pas au §3 dudit article qui dispose que la requête « est accompagnée des documents justificatifs en originaux ou en copies certifiée conformes ». En tout état de cause, les justificatifs de sa créance ont été produits, à savoir l’acte de cautionnement du 23 novembre 1998. Dans ces conditions, la Cour d’appel ne peut suivre le Tribunal qui a déclaré la requête recevable. 

La BICICI fait en outre valoir que c’est vainement que Messieurs TOURE G. et TOURE A. soutiennent que sa créance  n’est pas certaine, liquide et exigible. En effet, ils ne peuvent, en tant que cautions solidaires de la Société M. à concurrence de 276.128.685 F, se soustraire à leur engagement indiscutable, dès lors que la Société M. s’est montrée défaillante. Le non-visa des traites impayées dans la requête n’a pas d’incidence sur la certitude de la créance poursuivie, dès lors que les effets litigieux ont été versés aux débats et que leur montant correspond exactement à ladite créance. 

Décision de la Cour d'appel d'Abidjan

La Cour d’appel d’Abidjan rappelle tout d’abord que conformément à l’article 15, alinéa 2 de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés2, le créancier ne peut poursuivre la caution simple ou solidaire qu’en appelant en cause le débiteur principal.

Cependant, en l’espèce, la BICICI n’a engagé ses poursuites qu’à l’encontre des seules cautions TOURE G. et TOURE A., sans toutefois appeler en la cause la Société M.

La Cour d’appel considère qu’en omettant d’appeler en cause la Société M., la BICICI a vicié la procédure de recouvrement simplifiée de créance, de sorte que le Tribunal, saisi de l’opposition des cautions, aurait dû mettre à néant l’ordonnance d’injonction de payer portant la condamnation desdites cautions.

Elle estime qu’en s’abstenant d’annuler ladite ordonnance de condamnation, pour le motif susvisé, sans qu’il ait eu besoin d’analyser les autres motifs évoqués, le Tribunal a manifestement erré.

Par conséquent, la Cour d’appel d’Abidjan décide qu’il y a lieu de déclarer comme étant fondé l’appel commun de TOURE G. et TOURE A. et, partant, de réformer le jugement entrepris en mettant à néant l’ordonnance d’injonction de payer du 28 février 2000, étant donné qu’il y a lieu de confirmer le fait que le Tribunal a donné acte à la BICICI de ce qu’elle n’entend pas se prévaloir de l’ordonnance du 27 janvier 2000. 

Bon à savoir

Le cautionnement solidaire est présumé et constitue la règle de la base, le cautionnement simple l’exception. S’il existe plusieurs cautions solidaires, celles-ci assurent collectivement au titre de garantie le remboursement de la dette principale. Lorsque les cautions solidaires interviennent, elles sont chacune tenues pour l’ensemble du montant de la dette garantie.

Grâce au principe de solidarité, le créancier peut bénéficier d’une garantie de remboursement plus importante3. En effet, le créancier est en présence de la ou les cautions et du débiteur principal qui sont considérés comme des codébiteurs solidaireset ne peuvent invoquer le bénéfice de discussion5 ou le bénéfice de division6.7 Les cautions bénéficient toutefois de la possibilité d’opposer aux créanciers l’ensemble des exceptions n’étant pas purement personnelles au débiteur8.

Cette règle de solidarité est cependant assouplie afin de ne pas alourdir l’obligation de la caution9. Ainsi, les articles 23, alinéa 2, in fine et l’article 26, alinéa 2 de l’AUS révisé requiert la poursuite préalable du débiteur principal avant de solliciter le remboursement de la dette principale auprès de la caution. En effet, le créancier ne peut poursuivre la caution simple ou solidaire qu’en appelant en cause le débiteur principal10.

 

Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.

________________

1. Cour d'appel d'Abidjan, arrêt n°1070 du 27 juillet 2001, Touré Gaoussou et Touré Abdramane c/ BICICI, Ecodroit, n° 13-14, juillet-août 2002, p. 57, Ohadata J-02-194, www.ohada.com

2. Article 26, al. 2 de l’Acte uniforme révisé portant organisation des sûretés.

3. H. D. AMBOULOU, Le droit des sûretés dans l’espace OHADA, Paris, L’Harmattan, 2014, p. 22.

4. Article 26, al. 1er, in fine de l’Acte uniforme révisé portant organisation des sûretés.

5. Le bénéfice de discussion permet à la caution d’exiger du créancier qu'il poursuive d'abord la réalisation des biens du débiteur principal.

6. Le bénéfice de division offre aux cautions la possibilité d’exiger du créancier poursuivant qu’il divise ses actions et ne puisse obliger chacune des cautions que pour la part qu’elles ont prise dans le paiement de la dette.

7. Articles 27, al. 1er et 28, al. 1er de l’Acte uniforme révisé portant organisation des sûretés. L. AYNES et P. CROCQ, Les sûretés –la publicité foncière, 5ème éd., Paris, Defrénois, 2011, pp. 49 et s., n°46 et s. Sur l’absence du bénéfice de discussion pour la caution solidaire, voy. Cour d'Appel de Daloa, arrêt n° 32 du 5 février 2003, M…et F…c/ AFRIC-AUTO, Le Juris-Ohada n° 4/2004, octobre-décembre 2004, p. 36, note K. M. BROU, Ohadata J-05-174, www.ohada.com

8. L. BLACK YONDO et autres, Le nouvel acte uniforme portant organisation des sûretés. La réforme du droit des sûretés de l’OHADA, coll. Lamy Axe Droit, Rueil-Malmaison Cedex, Lamy, 2014, pp. 84-85.

9. Ibid.

10. Article 26, alinéa 2 de l’Acte uniforme révisé portant organisation des sûretés.