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DROIT DES SOCIETES

DROIT DES SOCIETES ABREGES JURIDIQUES

25 Octobre 2016

Cour d’appel de Ouagadougou - Articles 200 et 864 AUSCGIE (Révisé)

Présentation des faits1

Monsieur N., Monsieur Y. et Madame C. ont cité en justice Monsieur A. pour se voir déclarer qu’il existait entre eux une société de fait, dénommée « Groupe scolaire école supérieure de commerce d'informatique et de gestion (ESCO-IGES) »

Monsieur A. conteste ses allégations et estime qu’il s’agit d’un établissement individuel dont il est le seul propriétaire.  

Par jugement du 22 juin 2005 du Tribunal de grande instance de Ouagadougou a donné gain de cause à Messieurs N et Y et à Madame C. et a reconnu l’existence d’une société de fait. 

Par acte d'huissier du 23 juin 2005, Monsieur A. a interjeté appel dudit jugement. Il demande à la Cour d'infirmer le jugement, de dire qu'il est le seul fondateur de l'établissement ESCO-IGES, conformément à la lettre du 14 mai 2000 lui donnant l'autorisation d'ouverture de l'établissement et, partant, qu'il n'a pu y avoir une société de fait entre lui et quiconque. Il demande subsidiairement la dissolution anticipée d'une éventuelle société de fait, dont la Cour viendrait à reconnaître l'existence.

Au soutien de son appel, Monsieur A. expose que pour son projet d'ouverture de l'établissement, il a sollicité le soutien financier de Monsieur N., Monsieur Y. et Madame C.

Pendant l'année académique 1999-2000, l'exploitation de l'activité de l’établissement scolaire a effectivement démarré. Monsieur A. rendait régulièrement compte à ses partenaires financiers, qu'il appelait par abus de langage des « cofondateurs ».

Après 4 ans de fonctionnement, Monsieur N., Monsieur Y. et Madame C., lors d'une réunion, ont proposé la modification des statuts de l'établissement pour les prendre en compte comme cofondateurs, ce que Monsieur A. a fini par accepter suite à des médiations, mais en exigeant en contrepartie 51% du capital social de la future société. Les bénéfices cumulés ont été partagés.

Plusieurs points de désaccord ont toutefois entraîné une mésentente entre Monsieur A. et Monsieur N., Monsieur Y. et Madame C. L’élaboration des statuts n'a donc pas pu se faire.

Monsieur A. estime qu'il s'agit d'un établissement individuel dont il est le seul propriétaire, l'affectio societatis n'ayant jamais existé.

Monsieur N., Monsieur Y. et Madame S. demandent, quant à eux, la confirmation du jugement attaqué avec condamnation de Monsieur A. à leur payer la somme de 1 million de F. CFA au titre des frais exposés non compris dans les dépens. Ils font valoir qu'ils ont versé des parts sociales de 2.500.000 F chacun au capital social de 10 millions de la société, participé à la gestion, au fonctionnement de l'établissement et au partage des bénéfices et des risques. La demande de dissolution anticipée de la société de fait est injustifiée dans la mesure où la mésentente entretenue par Monsieur A. n'empêche pas le fonctionnement normal de la société et qu’il est loisible à Monsieur A. de se retirer après règlement de ses droits. Ils demandent que Monsieur A. soit condamné à leur payer 1 million de F au titre des frais exposés et non compris dans dépens.

Décision de la Cour d’appel de Ouagadougou

La Cour d’appel de Ouagadougou rappelle tout d’abord que conformément à l'article 864 AUSCGIE, il y a société de fait, lorsque deux ou plusieurs personnes physiques ou morales se comportent comme des associés sans avoir constitué entre elles l'une des sociétés reconnues par l'Acte uniforme. 

La Cour d’appel observe qu’en l'espèce, Monsieur A., Monsieur N., Monsieur Y. et Madame S. se comportent comme des associés pour avoir versé chacun 2.500.000 F comme parts pour la constitution du capital de 10 millions de F. CFA de l'Ecole supérieure de commerce d'informatique et de gestion (ESCO-IGES), pour avoir participé à la gestion de l'Ecole en qualité d'associés et cofondateurs (en attestent les correspondances versées au dossier), et pour avoir partagé les bénéfices.

De ce comportement, se déduit l'affectio societatis, élément indispensable à l'existence de la société. 

Par ailleurs, le fait que l'autorisation provisoire d'ouverture de l'établissement porte le seul nom de Monsieur A. ne remet pas en cause le désir de s'associer, dans la mesure où cette autorisation administrative est une condition préalable de constitution de la société.

La Cour précise à cet égard que les formalités administratives sont valablement faites par l'un ou l'autre des fondateurs de la société à constituer. Il  s'en suit que c'est à bon droit que le premier juge a reconnu l’existence d'une société de fait en l'espèce. 

La Cour d’appel constate ensuite que Monsieur A. demande à titre subsidiaire la dissolution anticipée de la société de fait.

Mais, aux termes de l'article 200 AUSCGIE, la dissolution anticipée ne peut être prononcée par la juridiction compétente, à la demande d'un associé que pour justes motifs, notamment en cas d'inexécution de ses obligations par un associé ou de mésentente entre associés empêchant le fonctionnement normal de la société. 

Or, aucun empêchement au fonctionnement normal de l'ESCO-IGES n'a pu être prouvé.

La Cour d’appel de Ouagadougou considère qu’il y a lieu, dès lors, de rejeter la demande de dissolution anticipée, par confirmation du jugement attaqué.

Elle confirme le jugement attaqué, rejette la demande de paiement de frais exposés et condamne Monsieur A. aux dépens.

Bon à savoir

Il y a société créée de fait, lorsque deux ou plusieurs personnes physiques ou morales se comportent comme des associés sans avoir constitué entre elles l’une des sociétés reconnues par l’Acte uniforme révisé relatif au droit des sociétés commerciales et au groupement d’intérêt économique2. L’existence d’une société créée de fait ou d’une société de fait peut être prouvée par toute voie de droit3.

Au niveau des éléments constitutifs de la société créée de fait ou de la société de fait4, il y a lieu tout d’abord d’établir que des apports (en numéraire, en nature ou en industrie) ont été effectués. La recherche des bénéfices et la contribution aux pertes sont également retenus comme un critère de reconnaissance de la société créée de fait ou de la société de fait5. L’affectio societatis, défini comme la volonté de collaborer à une entreprise commune est un élément qui devra aussi être démontré. Il a ainsi été jugé que les nombreux voyages à l’étranger effectués par les parties dans le cadre de l’Acte dit « Attestation d’association », illustrent cette volonté6.

Peu importent les dispositions dont les membres de la société de fait ont pu convenir, le régime juridique applicable aux sociétés créées de fait ou aux sociétés de fait, dont l’existence a été reconnue en justice, est celui qui s’applique aux sociétés en nom collectif7.

S’agissant de la dissolution et de la liquidation de la société créée de fait ou de la société de fait, il y a lieu de se référer aux règles de la société en nom collectif (articles 290 à 292 de l'Acte uniforme révisé relatif au droit des sociétés commerciales et au groupement d’intérêt économique)8.

 

Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque. 

________________

1. Cour d’appel de Ouagadougou, Chambre civile et commerciale (Burkina Faso), Arrêt n° 86 du 21 avril 2006, ADOKO Sessinou Bernard c/ NACOULMA Désiré, YANOGO B. Michael, SONGNABA/COMPAORE Claudine, Ohadata J-09-24, www.ohada.com

2. Article 864 de l’Acte uniforme révisé relatif au droit des sociétés commerciales et au groupement d’intérêt économique ; TGI Ouagadougou (Burkina Faso), Jugement commercial n° 215 du 21 février 2001, STTP Sarl c/ Société africaine de services SA et SOFITEX, cité dans J. GATSI, OHADA, Code des sociétés commenté et annoté, Douala, PUL, 2011, note sous art. 864 de l’AUDSCGIE, p. 186 ; F.-X. LUCAS, « La société dite “créée de fait” », in Mélanges offerts, Guyon, Dalloz, 2003, p. 738.

3. Article 867 de l’Acte uniforme révisé relatif au droit des sociétés commerciales et au groupement d’intérêt économique.

4. Ce sont les conditions de validité d’une société, mentionnées à l’article 4 de l’Acte uniforme révisé relatif au droit des sociétés commerciales et au groupement d’intérêt économique. Voy à cet égard : B. DIALLO, « La société créée de fait dans l’OHADA », note sous CCJA n° 31, 04 novembre 2004,  Ayant droit de B. c/ Madame A, art. précité, p. 18 ; À titre de droit comparé Marie-Hélène MALEVILLE, « Sociétés et groupement particuliers - Société créée de fait », note sous Cass. com., 5 avril 2005, en ligne : http://www.institut-idef.org/

5. A. FENEON, Droit des sociétés en Afrique (OHADA), Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), LGDJ, 2015, p. 764.

6. Cour suprême de la Côte d’Ivoire, arrêt n°152/04 du 11 mars 2004, Adama Koita, Odie Mathieu c/ Assane Thiam, Sodefor, Ohadata J-05-125, www.ohada.com.

7. Article 868 de l’Acte uniforme révisé relatif au droit des sociétés commerciales et au groupement d’intérêt économique.

8. Ibid.