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DROIT DES SOCIETES

SOCIETES COMMERCIALES

25 Octobre 2016

Cour suprême de la Côte d’Ivoire - Article 865 AUSCGIE (Révisé)

Présentation des faits1

Par acte notarié des 23 et 25 mars 1995, Monsieur A.K., Monsieur O. et Monsieur D. ont créé une SARL, dénommée RAF, ayant pour objet, entre autres, la gestion des tontines. 

Le 11 janvier 1996, Monsieur A.T. faisait son entrée dans ladite société en lieu et place de Monsieur D., par l'acquisition de ses parts sociales.

Par un acte dénommé « attestation d’association », Monsieur A.K., Monsieur A.T. et Monsieur O. ont tous les trois décidé de créer une succursale de leur société commune, dénommée « CEDIMO ».

Cette structure, après agrément obtenu de la SODEFOR, a eu à livrer du matériel à cette dernière d'un coût global de 114 218 094. F, payé au moyen de deux chèques de 19.000.000 F et de 30.000.000 F. Lesdits chèques de cette commande ont toutefois été encaissés par Monsieur A.T., pour son propre compte.

Monsieur A.K. et Monsieur O. ont alors déposé une plainte contre lui pour abus de biens sociaux et parallèlement ont fait pratiquer une saisie-arrêt entre les mains de la SODEFOR sur les sommes dues à la CEDIMO.

Le Tribunal de première instance d'Abidjan saisi en validité de ladite saisie a, par jugement n°79 du 29 juillet 1993, condamné la CEDIMO et Monsieur A.T. à payer la somme de 114.218.094 F.

Suite à l'appel relevé de ce jugement, la Cour d'appel d'Abidjan a réformé le jugement entrepris et, statuant à nouveau, a déclaré Monsieur A.K. et Monsieur O., mal fondés en leurs demandes de condamnation en paiement et en validation de saisie conservatoire, et les en a déboutées, par arrêt n°911 du 28 juillet 2000. En effet, selon elle, Monsieur A.K. et Monsieur O. n’apportent pas la preuve de leur qualité d’associés de la société CEDIMO.

Monsieur A.K. et Monsieur O. ont alors formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la Cour d’appel d’Abidjan. 

Décision de la Cour suprême de la Côté d’Ivoire

Sur le premier moyen de cassation tiré du défaut de base légale, résultant de l'insuffisance des motifs

La Cour suprême de la Côte d’Ivoire rappelle tout d’abord qu’il est fait grief à la Cour d'appel d'avoir, pour infirmer le jugement entrepris, estimé que rien dans les statuts de la RAF n'indiquait que CEDIMO était une structure faisant partie intégrante de cette dernière, et que la preuve de la qualité d'associés de Monsieur A.K. et Monsieur O. dans la CEDIMO n'était pas rapportée, alors que selon le pourvoi, la Cour d'appel n'a relevé aucune contradiction entre l'objet de la « Réévaluation Africaine » et l'activité de la CEDIMO, qui n'est ni une structure étrangère, ni une entreprise indépendante, mais une sorte de succursale dont l'acte de création sous seing privé dit « Attestation d'Association » constitue un avenant au statut de cette dernière, d'ailleurs jamais contesté par Monsieur A.T.

En l’espèce, les documents produits, notamment les statuts de la RAF, l'attestation de cession de parts sociales, l'attestation d'Association, les différents visas de voyage établissent à suffisance que Monsieur A.K. et Monsieur O. étaient avec Monsieur A.T. associés de droit de la CEDIMO, en vertu des statuts de la RAF, et de fait eu égard à leur participation effective à la vie de la CEDIMO.

La Cour suprême estime qu’en statuant comme elle l'a fait, la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

En effet, la Cour d'appel, avant de statuer comme elle l'a fait, a relevé que rien dans les statuts de la SARL RAF n'indiquait que la CEDIMO était une structure faisant partie intégrante de celle-ci. De plus, la création d'une société ne peut résulter d'une attestation signée des parties. Enfin, l'absence de l'affectio societatis ne peut guère faire penser à une société de fait ayant rassemblé les parties. Dès lors, il convient de retenir qu'en l'espèce, la preuve de la qualité d'associé de Monsieur A.K. et Monsieur O. dans la Société CEDIMO ne se trouve pas rapportée, de sorte que c'est à tort qu'en leur reconnaissant une telle qualité, le premier juge a condamné Monsieur A.T. à leur payer la somme de 114.000.000 F.

Selon la Cour suprême, cette décision manque de base légale résultant de l'insuffisance des motifs, en ce qu'elle n'a pas reconnu l'existence de l'affectio societatis, alors que cela transparaît dans les rapports entre les parties, de par les actes accomplis par elles dans le cadre de l’attestation d'association, lesquels ressortent du dossier et suffisent amplement à établir leur volonté de participer ensemble aux activités de la CEDIMO, avec comme corollaire le partage des bénéfices comme des pertes. Les nombreux déplacements à l'étranger effectués par les parties dans le cadre des activités de la CEDIMO en sont l'illustration.

Dans ces conditions, le moyen est fondé.

Par conséquent, la Cour suprême de la Côte d’Ivoire considère qu’il y a lieu de casser l'arrêt attaqué et d'évoquer à nouveau la procédure.

Sur l’évocation de la procédure

La Cour suprême rappelle tout d’abord qu’il est constant comme résultant des pièces du dossier qu'après la création de la SARL dénommée la « RAF », il a été créé d'un commun accord entre Monsieur A.K., Monsieur O. et Monsieur A.T. une succursale de leur société commune, dénommée « CEDIMO ».

Cette entreprise ayant obtenu de la SODEFOR un agrément fournisseur a eu à livrer à celle-ci du matériel d'un coût global de 114.218.094 F. Deux chèques de 19.000.000 F et 30.000.000 F émis par la SODEFOR, en paiement de la commande, ont été encaissés par Monsieur A.T. pour son compte personnel, alors même que tous les associés ont contribué à la satisfaction de la commande.

La Cour suprême estime ensuite que les actes accomplis par ces associés ont suffisamment démontré leur volonté de participer ensemble aux activités de la CEDIMO, dans l'intention de partager les bénéfices et les pertes, ce qui traduit l'existence de l'affectio societatis propre à caractériser la société de fait les unissant. Dans ces conditions, Monsieur A.T. ne peut, en sa qualité d'associé de fait, s'accaparer seul des gains de la CEDIMO.

La Cour constate que Monsieur A.T. a effectivement encaissé la somme globale de 49.000.000 F dans le cadre de cette commande de la SODEFOR évaluée à 114.218.094 F. Il doit, dès lors, être condamné à payer cette somme injustement perçue et réclamée par Monsieur A.K. et Monsieur O. pour le compte de leur société.

Par conséquent, la Cour suprême de la Côte d’Ivoire casse et annule l’arrêt attaqué, déclare fondé le pourvoi en cassation formé par Monsieur A.K. et Monsieur O. et condamne Monsieur A.T. à leur payer la somme de 49.000.000 F pour le compte de la CEDIMO. 

Bon à savoir

Il y a société de fait, lorsque deux ou plusieurs personnes physiques ou morales ont constitué entre elles l’une des sociétés reconnues par le présent Acte uniforme mais qui comporte un vice de formation non régularisé ou ont constitué entre elles une société non reconnue par le même Acte2. Cette définition est à combiner avec la disposition de l’article 115, qui prévoit également l’hypothèse où les associés ont souhaité créer une société, mais n’ont pas établi par écrit le contrat de société (ou, le cas échéant l’acte unilatéral de volonté)3. L’existence d’une société de fait peut être prouvée par toute voie de droit4.

Au niveau des éléments constitutifs de la société de fait5, il y a lieu tout d’abord d’établir que des apports (en numéraire, en nature ou en industrie) ont été effectués. La démonstration d’apports suffisamment déterminés permet d’identifier les membres de la société6. Il a ainsi été décidé que celui qui n’a pas, dans l’exploitation commune d’un laboratoire, fait d’apports ne dispose pas de la qualité d’associé7.

La recherche des bénéfices et la contribution aux pertes sont également retenus comme un critère de reconnaissance de la société créée de fait ou de la société de fait8

L’affectio societatis, défini comme la volonté de collaborer à une entreprise commune est un élément qui devra aussi être démontré. Il a ainsi été jugé que les nombreux voyages à l’étranger effectués par les parties dans le cadre de l’Acte dit « Attestation d’association », illustrent cette volonté9.

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1. Cour suprême de la Côte d’Ivoire, chambre judiciaire, arrêt n°152/04 du 11 mars 2004, Adama KOITA, ODIE Mathieu c/ Assane THIAM, SODEFOR, Ohadata J-05-125, www.ohada.com

2. Article 865 de l’Acte uniforme révisé relatif au droit des sociétés commerciales et au groupement d’intérêt économique.

3. A. FENEON, Droit des sociétés en Afrique (OHADA), Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), LGDJ, 2015, p. 763.

4. Article 867 de l’Acte uniforme révisé relatif au droit des sociétés commerciales et au groupement d’intérêt économique.

5. Ce sont les conditions de validité d’une société, mentionnées à l’article 4 de l’Acte uniforme révisé relatif au droit des sociétés commerciales et au groupement d’intérêt économique. Voy à cet égard : B. DIALLO, « La société créée de fait dans l’OHADA », note sous CCJA n° 31, 04 novembre 2004,  Ayant droit de B. c/ Madame A, art. précité, p. 18 ; À titre de droit comparé Marie-Hélène MALEVILLE, « Sociétés et groupement particuliers - Société créée de fait », note sous Cass. com., 5 avril 2005, en ligne : http://www.institut-idef.org/

6. A. FENEON, Droit des sociétés en Afrique (OHADA), Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), LGDJ, 2015, p. 764.

7. Cour suprême de la Côte d’Ivoire, Chambre Judiciaire, arrêt n° 570/02 du 04 juillet 2002, WAN KUL Lee c/ Jeon KUK HYUN, Actualités juridiques, n° 39/2003, p. 12, Ohadata J-04-64, www.ohada.com

8. A. FENEON, Droit des sociétés en Afrique (OHADA), Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), LGDJ, 2015, p. 764.

9. Cour suprême de la Côte d’Ivoire, arrêt n°152/04 du 11 mars 2004, Adama Koita, Odie Mathieu c/ Assane Thiam, Sodefor, Ohadata J-05-125, www.ohada.com.