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DROIT DES SOCIETES

DROIT DES SOCIETES ABREGES JURIDIQUES

25 Octobre 2016

Cour d’appel du Centre - Article 864 AUSCGIE (Révisé)

Présentation des faits1

Par jugement n°70/CIV du 27 octobre 2005, le Tribunal de Grande 
Instance du Mfoundi a reçu Monsieur K. en son action et l’en a débouté. 

Monsieur K. a alors interjeté appel de ce jugement.

Monsieur K. fait grief au premier juge de l’avoir débouté de son action, aux motifs qu’il ne résulterait pas des pièces du dossier de la procédure que même s’il a participé à l’acquisition du four à pain, il s’est comporté comme l’associé de Monsieur T., puisqu’il ne précise pas la dénomination choisie par les parties, le siège social ainsi que les règles de gestion et les modalités de la répartition des bénéfices et des prêts. 

Pourtant, une société de fait, en dépit de la souplesse de la loi, n’est admise que si les personnes qui la constituent sont majeures et ne sont frappées d’aucune incompatibilité légale ou incapacité.

Au moment des faits, Monsieur K. était haut fonctionnaire de l’administration (administrateur civil principal). Il exerce actuellement des fonctions de Maire de la Commune Urbaine de Bafoussam et en application de l’article 9 de l’Acte Uniforme OHADA relatif au droit commercial général, il est frappé d’incompatibilité et ne peut se prévaloir de la société de fait qui juridiquement est une variété de société commerciale.

Monsieur K. estime que cet argumentaire du premier juge est une véritable hérésie juridique. En effet, il ne comprend pas comment après avoir reconnu sa participation à l’acquisition du four à pain, le premier juge s’est attelé à rechercher des incompatibilités qui auraient empêché Monsieur K. de constituer une société de fait avec Monsieur T.

Monsieur K. a produit aux débats des correspondances dans lesquelles Monsieur T. l’a toujours désigné « mon cher associé » et dans lesquelles il lui faisait part des difficultés de gestion de la chose commune. De cet aveu, l’existence d’une société de fait du fait de sa qualité de haut fonctionnaire ne saurait être nié.

Décision de la Cour d’appel du Centre

Sur l’existence d’une société de fait 

La Cour d’appel du Centre constate tout d’abord qu’en refusant d’admettre l’existence de la société de fait sur le fondement des dispositions combinées des articles 864 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique et 9 de l’Acte uniforme relatif au droit commercial général, les premiers juges n’ont guère procédé à une bonne appréciation des faits et une juste application de la loi. 

En effet, en 1979, année de l’acquisition du four à pain et de la naissance subséquente des relations d’affaires entre les parties, les Actes uniformes OHADA précités n’existaient pas, ceux-ci n’étant entrés en vigueur que le 1er janvier 1998, après l’altération des relations entretenues par les parties. Il convient d’infirmer partiellement le jugement entrepris sur l’existence de la société de fait et de statuer à nouveau sur ce point. 

Monsieur K. a produit au dossier : 

-       La lettre commande des fours du 8 novembre 1979 ;

-       La lettre du 24 décembre 1979 accusant réception de la commande et des 
chèques de paiement ;

-       Le rapport d’activités en date du 10 juillet 1990 de Monsieur M., employé de la société familiale des boulangeries ;

-       Les lettres en date du 11 Juillet 1990 et 10 Août 2003 de Monsieur T.

A l’examen desdites pièces, il ressort que les parties se sont toujours comportées en associés pour l’exploitation en commun du four à pain acheté. 

En effet, la lettre du 11 juillet 1990 adressée à Monsieur K. par Monsieur T. débute par « mon cher associé ». Dans celle du 10 août 2003 du même auteur, il est clairement mentionné « ... tu m’avais affecté un comptable qui veillait sur la gestion et les bénéfices générés étaient repartis en deux parts égales après le paiement de 24 traites, et les charges diverses (salaires, impôts)... » ;

Ces aveux de Monsieur T. sont confortés par le rapport d’activité de l’agent comptable M., qui mentionne des documents produits en annexes, notamment les situations chiffrées des exercices 1987/1988, 1988/1989, 1989/1990, les impayés des livreurs et les correspondances de la CNPS.

La Cour d’appel estime que les éléments qui précèdent établissent à suffisance l’existence entre les parties d’une société de fait.

Par conséquent, la Cour considère qu’il convient de déclarer Monsieur K. fondé en sa demande.

Sur la reddition des comptes

La Cour d’appel du Centre rappelle tout d’abord que l’article 259 du Code de procédure civile et commerciale énonce que « en cas d’appel d’un jugement qui aurait rejeté une demande en reddition de compte, l’arrêt infirmatif renverra, pour la reddition et le jugement de compte, au Tribunal ou la demande avait été formée, ou tout autre Tribunal de première instance que l’arrêt indiquera »

En application de ces dispositions légales, la Cour estime qu’il convient de renvoyer la cause devant le Tribunal de grande instance du Mfoundi pour la reddition des comptes sollicitée.

Le présent arrêt ne mettant pas fin au litige opposant les parties, il y a 
lieu de réserver les dépens. 

Bon à savoir 

Il y a société créée de fait, lorsque deux ou plusieurs personnes physiques ou morales se comportent comme des associés sans avoir constitué entre elles l’une des sociétés reconnues par l’Acte uniforme révisé relatif au droit des sociétés commerciales et au groupement d’intérêt économique2. L’existence d’une société créée de fait ou d’une société de fait peut être prouvée par toute voie de droit3.

Au niveau des éléments constitutifs de la société créée de fait ou de la société de fait4, il y a lieu tout d’abord d’établir que des apports (en numéraire, en nature ou en industrie) ont été effectués. La recherche des bénéfices et la contribution aux pertes sont également retenus comme un critère de reconnaissance de la société créée de fait ou de la société de fait5. L’affectio societatis, défini comme la volonté de collaborer à une entreprise commune est un élément qui devra aussi être démontré. Il a ainsi été jugé que les nombreux voyages à l’étranger effectués par les parties dans le cadre de l’Acte dit « Attestation d’association », illustrent cette volonté6.

Peu importent les dispositions dont les membres de la société de fait ont pu convenir, le régime juridique applicable aux sociétés créées de fait ou aux sociétés de fait, dont l’existence a été reconnue en justice, est celui qui s’applique aux sociétés en nom collectif7.

S’agissant de la dissolution et de la liquidation de la société créée de fait ou de la société de fait, il y a lieu de se référer aux règles de la société en nom collectif (articles 290 à 292 de l'Acte uniforme révisé relatif au droit des sociétés commerciales et au groupement d’intérêt économique)8.

 

Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.  

________________

1. Cour d’appel du Centre, arrêt n°380/CIV/2008 du 05 novembre 2008, affaire KAGO LELE Jacques c/ TCHOUPO Christophe, Ohadata J-10-134, www.ohada.com

2. Article 864 de l’Acte uniforme révisé relatif au droit des sociétés commerciales et au groupement d’intérêt économique ; TGI Ouagadougou (Burkina Faso), Jugement commercial n° 215 du 21 février 2001, STTP Sarl c/ Société africaine de services SA et SOFITEX, cité dans J. GATSI, OHADA, Code des sociétés commenté et annoté, Douala, PUL, 2011, note sous art. 864 de l’AUDSCGIE, p. 186 ; F.-X. LUCAS, « La société dite “créée de fait” », in Mélanges offerts, Guyon, Dalloz, 2003, p. 738.

3. Article 867 de l’Acte uniforme révisé relatif au droit des sociétés commerciales et au groupement d’intérêt économique.

4. Ce sont les conditions de validité d’une société, mentionnées à l’article 4 de l’Acte uniforme révisé relatif au droit des sociétés commerciales et au groupement d’intérêt économique. Voy à cet égard : B. DIALLO, « La société créée de fait dans l’OHADA », note sous CCJA n° 31, 04 novembre 2004,  Ayant droit de B. c/ Madame A, art. précité, p. 18 ; À titre de droit comparé Marie-Hélène MALEVILLE, « Sociétés et groupement particuliers - Société créée de fait », note sous Cass. com., 5 avril 2005, en ligne : http://www.institut-idef.org/

5. A. FENEON, Droit des sociétés en Afrique (OHADA), Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), LGDJ, 2015, p. 764.

6. Cour suprême de la Côte d’Ivoire, arrêt n°152/04 du 11 mars 2004, Adama Koita, Odie Mathieu c/ Assane Thiam, Sodefor, Ohadata J-05-125, www.ohada.com.

7. Article 868 de l’Acte uniforme révisé relatif au droit des sociétés commerciales et au groupement d’intérêt économique.

8. Ibid.