
La société en nom collectif
Fonctionnement de la societe en nom collectif
Il existe deux entités au sein de la société en nom collectif, à savoir, d’une part, les gérants qui assurent le fonctionnement quotidien de la société et, d’autre part, les associés de la société qui détiennent le pouvoir souverain.
Parlons, tout d’abord, des gérants de la société.
La société en nom collectif est gérée par un ou plusieurs gérants, associés ou non, personnes physiques ou morales, désignés par les associés, dans les statuts même de la société ou dans un acte ultérieur.
Précisons que si une personne morale est désignée comme gérante, ses dirigeants seront soumis aux mêmes conditions et obligations et encourent les mêmes responsabilités civiles et pénales que s'ils étaient gérants en leur nom propre, sans préjudice de la responsabilité solidaire de la personne morale qu'ils dirigent 25.
Les associés disposent à cet égard d’une grande liberté, étant donné que les statuts organisent librement la gérance. Néanmoins, cette liberté n’est pas sans limite. En effet, les associés doivent tenir compte des interdictions de diriger, gérer, administrer ou contrôler une société qui frappent certaines personnes. Ainsi, ne pourront être désignés comme gérants les personnes qui ont été déclarées en faillite personnelle 26.
Si, par contre, les statuts ne prévoient aucune règle organisant la gérance, tous les associés seront considérés comme des gérants.
S’agissant des pouvoirs et des responsabilités du ou des gérants, il convient de les examiner, d’une part, dans les relations entre associés et, d’autre part, dans les rapports vis-à-vis des tiers.
Dans les relations entre associés et en l'absence de la détermination de ses pouvoirs par les statuts, le gérant peut accomplir tous les actes de gestion dans l'intérêt de la société.
L’acte de gestion peut être défini comme l’acte d’administration ou de disposition accompli par le gérant en vue de la réalisation de l’objet social 27.
Lorsque plusieurs gérants sont désignés, chaque gérant détient les mêmes pouvoirs que s'il était seul gérant de la société. L’Acte uniforme réserve toutefois la possibilité pour chacun de s'opposer à toute décision prise par un autre gérant 28. Il n’a cependant pas prévu le mode d’expression de l’opposition ni les effets de l’opposition régulièrement formée par le gérant 29.
Dans les rapports avec les tiers, le ou les gérants disposent de tous les pouvoirs pour agir au nom de la société en nom collectif, dans la limite de l’objet social. Toutefois, des limites peuvent être apportées à ces pouvoirs par les statuts. En effet, les associés peuvent exiger l’autorisation préalable de l’assemblée pour l’accomplissement de certains actes importants.
L’acte accompli en violation de cette clause statutaire reste néanmoins valable à l’égard des tiers, mais le gérant fautif verra sa responsabilité civile engagée par les associés 30. Il pourra également être révoqué, sans que la société ne soit exposée à une condamnation au paiement de dommages et intérêts 31.
Précisons, en outre, que l’opposition formée par un gérant aux décisions prises par un autre gérant est inopposable à l'égard des tiers, à moins qu'il fasse connaître au tiers son opposition 32.
Eu égard à ces considérations, il y a donc lieu, pour limiter la responsabilité de la société et, partant, de ses associés, de limiter clairement l’objet social de la société 33.
En ce qui concerne la rémunération des gérants, elle est déterminée par les associés, à leur majorité en nombre et en capital. Néanmoins, les statuts peuvent prévoir des conditions de quorum et de majorité différentes.
L’Acte uniforme relatif aux sociétés commerciales et au groupement d’intérêt économique précise, à cet égard, que si le gérant est lui-même un associé en nom, la décision fixant le montant de sa rémunération est prise à la majorité en nombre et en capital des autres associés 34.
Aucune règle n’est, par contre, prévue pour le mode de rémunération des gérants. Les associés peuvent ainsi recourir librement soit à une rémunération fixe, soit à une rémunération proportionnelle aux bénéfices réalisés par la société, soit encore à une rémunération fixe 35.
Enfin, concernant la cessation des fonctions du gérant, il y a lieu d’appliquer les dispositions générales aux sociétés commerciales. Si la durée du mandant du gérant est fixée dans les statuts ou dans un acte de désignation ultérieur, ses fonctions prennent fin à l’arrivée du terme. Elles peuvent également cesser en cas de démission, de décès ou de faillite personnelle du gérant ou de tout autre évènement qui l’empêcherait, de manière durable, d’exercer ses fonctions (maladie prolongée par exemple). Le gérant peut enfin démissionner de ses fonctions.
Par ailleurs, l’Acte uniforme relatif aux sociétés commerciales et au groupement d’intérêt économique a consacré quelques dispositions sur la révocation du gérant. Il a, en effet, consacré le droit pour les associés de provoquer le départ d’un gérant en le révoquant. Les conditions de la révocation du gérant dépendent de sa qualité 36.
Lorsque le gérant est un associé désigné dans les statuts ou lorsque tous les associés ont la qualité de gérant, la révocation du gérant ne peut résulter que d’une décision unanime des autres associés. Elle entraîne en principe la dissolution de la société en nom collectif, sauf clause de continuation ou décision contraire à l’unanimité des associés restants 37.
L’article 280 de l’Acte uniforme reconnait au gérant associé révoqué la possibilité de quitter la société en demandant le remboursement de ses droits sociaux. La valeur de ces droits est librement fixée par les parties. A défaut, elle est déterminée par un expert désigné par le Président de la juridiction compétente, statuant à bref délai.
Précisons, à cet égard, que par « remboursement des droits sociaux », il y a lieu d’entendre le rachat des parts sociales à leur valeur réelle, et non le remboursement de l’apport effectué 38.
A contrario, le gérant qui n’a pas été nommé par les statuts, peu importe qu’il soit associé ou non, ne peut être révoqué que par une décision prise à la majorité en nombre et en capital des associés. Il convient, à cet égard, de ne pas tenir compte de sa participation pour le calcul de cette majorité 39.
En tout état de cause, le gérant révoqué sans justes motifs est en droit de réclamer des dommages et intérêts 40, la révocation du gérant ne s’opérant pas ad nutum.
Enfin, il y a lieu de souligner que ces règles relatives à la révocation du gérant sont d’ordre public. Dès lors, les statuts ne peuvent y déroger ni prévoir des modalités de consultation, de quorum et de majorité différentes de celles qui sont déterminées dans l’Acte uniforme 42. Tout acte ou délibération pris en violation de ces règles est sanctionné de nullité 43.
Parlons maintenant des associés de la société.
Les associés en nom disposent de droits semblables à ceux des membres des autres sociétés commerciales.
Les associés ont, tout d’abord, le droit de prendre part aux décisions collectives. En effet, chacun d’eux dispose du droit de vote.
Les décisions collectives sont prises dans le cadre d’une assemblée générale, qui doit être convoquée dans les quinze jours de sa tenue, par lettre au porteur contre récépissé ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception.
La convocation doit mentionner la date, le lieu de réunion et l'ordre du jour de l’assemblée générale.
Toute assemblée irrégulièrement convoquée peut être annulée. Toutefois, l'action en nullité sera déclarée irrecevable si tous les associés étaient présents ou représentés 44.
A l’issue de l’assemblée, est établi un procès-verbal reprenant la signature de chacun des associés présents 45.
Il y a lieu de préciser, à cet égard, que les décisions collectives sont prises soit par correspondance, soit par consultation écrite, soit encore à distance par le biais de moyens de télécommunications permettant l’identification des associés. Néanmoins, pour que de telles options puissent être mises à leur disposition, il faut que les statuts en prévoient l’utilisation et la participation des associés qui en font usage 46.
Dans les six mois qui suivent la clôture des comptes, doit être tenue, en plus, une assemblée générale annuelle, présidée non pas par le ou l’un des gérants, mais obligatoirement par l’associé représentant le plus grand nombre de parts sociales au sein de la société en nom collectif 47. Sous peine de nullité, cette assemblée requiert, pour sa tenue, la moitié au moins des associés représentant la moitié au moins du capital social 48.
En outre, les associés non gérants ont le droit d’être informés sur l’activité des gérants.
Ainsi, au moins quinze jours avant la tenue de l’assemblée générale annuelle, les gérants doivent leurs communiquer le rapport de gestion, l’inventaire et les états financiers de synthèse, ainsi que, le cas échéant, le rapport du commissaire aux comptes49.
Nonobstant ce droit de communication, les associés sont également autorisés à consulter, au siège social, deux fois par an, tous les documents et pièces comptables, ainsi que les procès-verbaux des délibérations et des décisions collectives. Ils peuvent en obtenir une copie à leurs frais.
Toutefois, ils doivent informer les gérants de leur intention d'exercer ce droit au moins quinze jours à l'avance, par lettre au porteur contre récépissé ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, télex ou télécopie.
Dans l’exercice de ce droit, ils peuvent se faire assister, à leurs frais, par un expert-comptable ou un commissaire aux comptes 50.
Les associés disposent aussi du droit de déclencher une procédure d’alerte sur tout fait de nature à compromettre la continuité de la société qu’ils auraient découvert lors de l’examen des documents communiqués 51.
Enfin, ils sont autorisés à faire effectuer une expertise de gestion 52.
A côté de ces droits étendus, les associés en nom sont assujettis à des obligations spécifiques, dont la plus importante est l’obligation au passif social.
L’obligation au passif social est attachée de plein droit à la qualité d’associé. Il suffit, en effet, d’être membre d’une société en nom collectif pour être tenu indéfiniment et solidairement des dettes sociales. Cette responsabilité indéfinie et solidaire ne vise que les dettes contractées par le ou les gérants au nom de la société et dans le cadre de l’objet social.
A contrario, l’acte que le gérant accomplit en son nom personnel ou en dépassement de l’objet social n’engage pas la responsabilité de la société, de sorte que la dette qui en résulte ne peut être considérée comme une dette sociale 53.
Concernant la mise en œuvre de l’obligation, il y a lieu de préciser que les créanciers doivent attendre 60 jours après avoir vainement mis en demeure la société par exploit d’huissier ou par tout autre moyen 54 de recouvrer ses dettes sociales, avant de pouvoir exercer une action contre les associés 55. Ce délai peut être porté à un maximum de 90 jours par décision du Président de la juridiction compétente, statuant à bref délai 56.
De plus, les associés, dans la mesure où ils ont qualité de commerçants, sont également soumis aux obligations attachées à cette qualité 57.
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25. Article 276 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique.
26. D. Ndiaw, « Les sociétés de personnes », in Sociétés commerciales et G.I.E., Bruxelles, Bruylant, 2002, p. 321.
27. Ibid., p. 327.
28. Article 277, alinéa 1 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique.
29. D. Ndiaw, « Les sociétés de personnes », in Sociétés commerciales et G.I.E., Bruxelles, Bruylant, 2002, p. 328.
30. A. Fénéon, Droit des sociétés en Afrique (OHADA), Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), LGDJ, 2015, p. 777.
31. D. Ndiaw, « Les sociétés de personnes », in Sociétés commerciales et G.I.E., Bruxelles, Bruylant, 2002, p. 322.
32. Article 277, alinéa 4 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique.
33. B. Le Bars, Droit des sociétés et de l’arbitrage international. Pratique en droit de l’Ohada, Joly, Paris, 2011, p. 253.
34. Article 278 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique.
35. A. Fénéon, Droit des sociétés en Afrique (OHADA), Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), LGDJ, 2015, p. 777.
36. D. Ndiaw, « Les sociétés de personnes », in Sociétés commerciales et G.I.E., Bruxelles, Bruylant, 2002, pp. 322-323.
37. Article 279 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique.
38. A. Fénéon, Droit des sociétés en Afrique (OHADA), Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), LGDJ, 2015, p. 778.
39. Article 280 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique ; B. Le Bars, Droit des sociétés et de l’arbitrage international. Pratique en droit de l’Ohada, Joly, Paris, 2011, p. 253.
40. Article 281 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique ; A. Fénéon, Droit des sociétés en Afrique (OHADA), Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), LGDJ, 2015, p. 778.
41. B. Le Bars, Droit des sociétés et de l’arbitrage international. Pratique en droit de l’Ohada, Joly, Paris, 2011, p. 253.
42. A. Fénéon, Droit des sociétés en Afrique (OHADA), Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), LGDJ, 2015, p. 778.
43. Article 282 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique.
44. Article 286 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique.
45. Article 287 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique.
46. A. Fénéon, Droit des sociétés en Afrique (OHADA), Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), LGDJ, 2015, p. 779.
47. Article 288 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique.
48. A. Fénéon, Droit des sociétés en Afrique (OHADA), Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), LGDJ, 2015, p. 780.
49. Article 288 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique.
50. Article 289 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique.
51. A. Fénéon, Droit des sociétés en Afrique (OHADA), Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), LGDJ, 2015, p. 780.
52. Articles 159 et 160 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique.
53. D. Ndiaw, « Les sociétés de personnes », in Sociétés commerciales et G.I.E., Bruxelles, Bruylant, 2002, pp. 335- 336.
54. Par exemple par lettre recommandée contre accusé de réception ou par lettre contre décharge.
55. Article 271 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique.
56. A. Fénéon, Droit des sociétés en Afrique (OHADA), Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), LGDJ, 2015, pp. 773-774.
57. D. Ndiaw, « Les sociétés de personnes », in Sociétés commerciales et G.I.E., Bruxelles, Bruylant, 2002, p. 335.